La caméra Paillard-Bolex H16 (et ses dérivées
dans les formats voisins : H8, H9) est le symbole même de la
mécanique de précision suisse. Témoignage du savoir-faire helvétique, fierté industrielle du Jura suisse, elle est un objet beau et robuste, technique, fascinant, précis, capable de travailler sous
toutes les latitudes et par tous les temps. Elle a su séduire l’amateur averti, le reporter pressé et le professionnel exigeant.
C’est aussi l’association de deux noms : Paillard et Boolsky.
Jacques Bogopolsky (1895-1962), dit Boolsky, est un Ukrainien vivant à Genève et met au point un premier appareil, le Cinégraphe Bol en 1923. Il fonde une Société qui doit en assurer la fabrication : la Compagnie du Cinégraphe Bol S.A.. Le succès n’est pas au rendez-vous, le format retenu est celui du 35 mm alors qu’au même moment les amateurs se tournent vers les nouveaux formats moins onéreux : le 9,5 et le 16 mm. Si l’entreprise s'effondre, Bogopolsky rebondit : avec l’appui d’un homme d’affaires il développe en 1927 une caméra 16 mm.: la Ciné-auto-caméra. Elle sera commercialisée sous le nom de Bolex. Mais la nouvelle entreprise ne fera pas mieux que la première ! Elle sera cédée à Paillard en 1930.
Au début du XIXe siècle, Paillard est une entreprise qui fabrique des boîtes à musique ; son fondateur, Moïse Paillard, tenait un comptoir d’horlogerie à Sainte-Croix (près Yverdon). Puis au tournant des XIXe et XXe siècles, Paillard fabrique des phonographes (L'écophone), des gramophones… et d’autres objets mécaniques (taille-crayons !). Au début des années 20, Paillard se lance dans la fabrication de machines à écrire sous la marque Hermès et abordera aussi celle de radios et tourne-disques.
Le krach de Wall Street touche la Suisse et Paillard perd la moitié de son chiffre d’affaires. Il faut chercher d’autres activités qui peuvent utiliser l’outil
technique existant : les appareils de cinéma en font partie. Paillard achète donc l’ensemble Bolex et engage Boolsky comme
ingénieur. Les dirigeants de Paillard croient au développement du cinéma dans
les formats substandards (formats plus petits que le 35 mm) et créent un département
autonome avec un personnel très spécialisé. Un jeune ingénieur est engagé, Marc Renaud, pour développer un prototype en 16 mm. La première caméra H16
sortira en 1935. C’est un succès
immédiat : 233 caméras
en 1935, plus de 2000 en 1939, plus de 10 000 en 1950 !
La H9 (pour le format 9,5) sort
en 1936 et la H8 (pour le 8 mm.) en 1938.
De plus petits modèles et plus simple d’emploi sont lancés à partir de 1942
(L8)… ce qui permet de présenter la H16 comme une
caméra semi-professionnelle.
Comme toute entreprise il faut innover, surtout dans ces domaines où la concurrence est rude et la technologie dévoreuse de nouveautés. Il faut sans cesse rattraper et dépasser les concurrents ! Si Paillard-Bolex a su apporter de nombreuses innovations (1936 : premier projecteur tri-film ; 1957 : première caméra 8 mm à obturateur variable ; 1958 : posemètre incorporé à une caméra 8 mm ; 1956 : visée réflexe continue sur les H16 ; 1953 : dispositif stéréo pour des images en relief…), elle a eu du mal à suivre les évolutions inaugurées par Kodak avec son Super 8 à partir de 1965. En 1969, Eumig prend partiellement le contrôle de Bolex : seules les H16 resteront fabriquées en Suisse et Paillard se recentre sur la bureautique. En 1974, Eumig prend le contrôle total de Bolex et fait faillite en 1981.
La caméra Paillard-Bolex
H16, héritière de la Ciné-auto-caméra a été fabriquée à partir de 1935 par Paillard. Elle gardera sa silhouette tout au long de sa longue carrière jusqu’à la cession de l’entreprise à
Eumig. Deux modèles existent encore en 2015: la Bolex H16EL et la Bolex H16SBM avec cette même
silhouette si caractéristique !
A l’origine destinée à
l’amateur et grâce à sa qualité de fabrication horlogère et à ses nombreux perfectionnements,
la H16 a été vite adoptée par les professionnels : pour le cinéma de création comme celui du documentaire, et grâce à sa robustesse au cinéma
d’exploration, de voyage et de reportage. Cette caméra a permis de faire du cinéma de haute
qualité sans supporter les coûts du 35 mm.
Paillard fabriquait toutes les pièces. Après les opérations d’usinage, décolletage, étampage, perçage, les pièces sont ensuite traitées : trempe, galvanoplastie, polissage et vernissage. En parallèle on fabrique les autres éléments de la
caméra : pièces plastiques, électriques (selon modèle) et pièces d’optique. Puis c’est l’assemblage. Le nombre de pièces est élevé
(environ 1200 pour la H16) et la précision de la fabrication est un élément
majeur de la qualité.
Principales caractéristiques de la H16. Extrait d'une brochure Paillard Bolex.
Le moteur de la caméra est actionné par un ressort qui se remonte à l’aide d’une grande manivelle constituée de deux pièces coulissantes (une vingtaine de tours): ce moteur
peut dérouler ainsi presque 6 mètres de film. À la prise de vues, un déclic se fait entendre régulièrement (selon modèle).
Il est possible de débrayer le moteur et d’actionner la mécanique grâce à une petite manivelle. C’est sur ce même axe que l’on vient enclencher le moteur électrique.
Le “débrayage” du moteur permet de remonter le film (quelques images, voire la bobine entière !) et d’effectuer ainsi divers trucages (fondus enchaînés, surimpressions par exemple).
Le déclenchement du moteur se fait par un bouton frontal. Il existe un déclencheur latéral qui se bloque, permettant ainsi à l’opérateur de s’éloigner de l’appareil. Ce même déclencheur, poussé en
sens opposé, permet la prise de vues image par image. C’est sur ce déclencheur latéral que se fixe le déclencheur souple.
En dehors de la prise de vues image par image, les vitesses vont de 8 à 64 images/seconde. On notera une particularité : la possibilité de faire des images en mode “pose”. On peut
légitimement se demander ce que vient faire un tel dispositif dans une caméra ! En s’armant de patience et en fixant fermement la caméra sur un pied, aucune scène (sauf les sujets mobiles),
aussi peu éclairée soit-elle n’échappera à la caméra…
La caméra est équipée d’un compteur de métrage et d’images : grâce à cette précision il est possible d’aborder n’importe quel trucage.
La H16 est munie d’une tourelle mi-ronde pour 3 objectifs qui permet de monter des focales assez différentes.
Sur les premières H16, la visée se faisait par un viseur amovible. Avant l’arrivée de la visée réflexe, on pouvait faire la mise au point à l'aide d’un dispositif de mise au point sur
dépoli. On rencontre ici un autre accessoire : le cadreur sur fenêtre. Caméra non chargée, cet accessoire se fixe en enlevant le presseur du couloir d’exposition et un prisme renvoie l’image sur
un dépoli. L’image est exactement celle qui sera impressionnée sur le film en cadrage et en netteté.
Le chargement se fait en plein jour (mais de préférence à l’ombre !): un coupe-film taille la pellicule en biseau ; on introduit le film dans une sorte d’entonnoir à la partie supérieure et
le moteur entraîne celui-ci. Des boucleurs ferment le cheminement de la pellicule (ils s’ouvrent soit manuellement, soit automatiquement).
On remarquera sur le côté droit de l'appareil la présence d’un trait vertical qui indique le plan focal.
Successivement: 1 - le compteur d'images. 2 - le bloc prisme avec son dépoli en partie supérieure. 3 - de haut en bas: l'axe pour la manivelle; le bouton pour la prise de vues image par image (position "I") et en pose (position "T"); le bouton pour régler les vitesses, et en haut à droite le trait vertical du repère "plan film" (photos: ©JFPB ).
Principales caractéristiques :
- format : 16 mm (versions pour 9,5 et 8 mm)
- dimensions (sans optique): 21 × 16 × 8 cm ;
- poids (sans optique): 2,5 kg.;
- tourelle mi-ronde pour 3 objectifs fixes interchangeable ou zooms, montures “C ”;
- viseur tubulaire puis viseur réflexe continu par prisme transparent ; viseur annexe multifocal détachable type
Galilée ;
- chargement par bobine de 30 m. semi-automatique ; sur certains modèles, magasins de 120 m ;
- obturateur à disque variable ;
- moteur type horlogerie : puissance du ressort : 5,70 m. débrayable ;
moteur électrique (batterie ou secteur) avec générateur de fréquence (pilotage magnétophone);
- griffe unilatérale, pas de contre-griffe ;
- bobine à flasques 30 m.; ou magasins jusqu’à 120 m.;
- vitesses repérées de 8 à 64 images/seconde ; image par image ;
pose ; possibilité d’entraîner le film en avant/arrière par manivelle ;
- obturateur rotatif variable à l’arrêt et en marche (0 à 170°);
- fondus par manivelle ou automatique par système “RX Fader ”;
- compteurs de mètres et d’images ;
- nombreux accessoires disponibles : mise au point sur dépoli, cadreur sur
fenêtre, télémètre, porte-filtres, kit stéréo, anamorphoseur, “matte-box”, moteurs électriques, posemètre, micro et macrocinématographie, endoscopie, déclencheur souple, caisson étanche, “rack-over”, “Rx Fader” (fondus), mallettes de transport, etc.
Sur cette vue on distingue le dispositfi "RX Fader" qui sert à réaliser facilement les fondus: lorsque le moteur tourne, on actionne le levier à gauche qui enclenche le bras (à droite) relié à l'obturateur variable. Lorsque le bras arrive en position basse (donc obturateur fermé), le moteur s'arrête. Pour réaliser un fondu enchaîné, il suffit de remonter le film de 40 images (c'est inscrit sur le levier de gauche!) à l'aide de la manivelle manuelle. Le compteur d'images est suffisamment précis pour cela. Le débrayage du moteur mécanique s'obtient en actionnant le grand levier en haut à gauche. La fenêtre avec la "casquette" rouge est le compteur métrique (photo: ©JFPB ).
Introduit en 1952, le système stéréo de Paillard Bolex n'a pas eu le succès attendu. Un kit
permettait à l'utilisateur de s'équiper pour la prise de vues et la projection. La double optique Yvar (f/2,8) était développée par Kern. Le kit comprenait l'objectif de prise de vues en
relief, l'objectif de projection, le système de visée et une notice. Ecran et lunettes étaient vendues séparément.
A gauche, la page 2 du numéro de Noël 1953 de la revue Bolex Reporter; à droite, le système optique Yvar monté sur la Bolex H16 (photos: ©JFPB
).
Filmographie (liste non exhaustive):
Outre les nombreux films d’amateur:
- nombreux documentaires réalisés par Haroun Tazieff, le professeur Piccard, Christian Zuber, etc.
- Trésor de l’Égypte (1954) de Paul Gayet-Tancrède (Samivel ; 1907-1992) dans la série “Connaissance du Monde”;
- La jungle de Paris (1957) court-métrage de Claude Lelouch ;
- utilisée par des artistes d’avant-garde et/ou expérimentateurs :
Jonas Mekas, Andy Warhol, Maya Deren…
- la H16 apparait, entre autres, dans Le Rideau déchiré d’Alfred Hitchcock (Torn Curtain,
1966), dans le film Mogambo de John Ford (illustration ci-dessous) et dans Les Aventuriers de Robert Enrico
(1967).