Si cette caméra n’avait pas partagé la tête d’affiche avec Buster Keaton du film The cameraman (Edward Sedgwick, 1928 ; production de Buster Keaton), elle aurait probablement, comme beaucoup d’appareils de cette époque, été oubliée, et seuls les historiens des techniques du cinéma relèveraient son existence…
C’est en 1910 que Lucien Prévost (1875-1911) dépose un brevet pour cet appareil : il gardera le nom de
son inventeur (mais on le trouve aussi sous l’appellation “Le Rêve”).
Prévost avait travaillé chez Pathé et nous verrons que cela a influencé une partie de la conception de cette caméra : “le véritable appareil de prise de vues qu’attendent depuis si longtemps nos
professionnels” dit la brochure commerciale ! Pas sûr…
The cameraman est donc tourné en 1928 et la caméra Prévost utilisée par Keaton a déjà 18 ans d’âge ! Notre apprenti caméraman veut l’utiliser pour séduire la secrétaire Sally (Marceline Day) du bureau des “News” de la MGM. Mais il y a de la concurrence ! Ses collègues, a priori plus expérimentés, opèrent avec d’autres appareils et, curieusement, pas plus moderne que la Prévost. En effet, on distingue dans le film des opérateurs d’actualités avec une Pathé Professionnel (mise en service en 1908), une Akeley (mise en service en 1915, et à cette époque, certainement le modèle le mieux adapté à l’actualité *) et probablement une Debrie Parvo (le modèle Interview). Une autre caméra apparait mais n’est pas identifiable (Ernemann ?). Le jugement qualitatif ne se fera donc pas sur la qualité du matériel employé mais sur la capacité à “couvrir » un sujet…
Lorsque Buster veut, sur les recommandations de Sally, acheter une caméra, il se rend dans une boutique
à l’enseigne de “Schreiber”. Ici, les appareils sont trop chers (on distingue probablement une Bell Howell 2709 dans la vitrine au prix de 2 500 $). Il
trouvera donc, un peu plus loin, une occasion chez “Ade Greenberg” pour 140 $: notre caméra Lucien Prévost.
À la fin du film elle sera bradée au prix de 28,50 $. Ce prix indique-t-il déjà que c’est un appareil complètement dépassé et/ou mal conçu ?
* (c’est d’ailleurs cette caméra qu’utilise le concurrent direct de Buster auprès de Sally…)
La caméra se présente comme un grand parallélépipède (19 × 20,5 × 41 cm.) en bois (certains modèles sont revêtus de maroquin noir ou
brun ?). À
l’intérieur, trois compartiments : un pour l’obturateur et l’optique, un pour le mécanisme et un pour le couloir d’exposition avec le film. Au-dessus, deux magasins métalliques enfermés dans un caisson
amovible en bois les protège des intempéries et de lumière parasite.
De son séjour chez Pathé, L. Prévost a repris l’essentiel du mécanisme qui équipe
la Pathé Professionnel. Celui-ci est directement inspiré du mécanisme Lumière, Pathé ayant racheté
le brevet. On retrouve donc la came de type “Lumière” (photo ci-dessus), les 2 griffes avec leur mouvement de haut en bas et leur retrait au moment de
l’immobilisation du film. Il n’y a pas de contre-griffes.
Toutefois, la disposition en parallèle, et non dans le prolongement (comme sur la Pathé), des 2 magasins sur le dessus impose une petite vrille à la pellicule (photo ci-dessous).
Le chargement n’est pas aisé : il faut d’abord fixer le magasin débiteur par une molette accessible dans le compartiment “objectif”, mettre en place le câble sans fin dans la poulie à gorge, positionner le film dans les tambours dentés et dans son
couloir d’exposition, puis le remonter dans le magasin récepteur qui sera tenu de la même
manière que le débiteur. On referme ensuite le capot en bois.
L’objectif est bien protégé et monté sur un chariot mobile qui se manoeuvre par un bouton placé
sur le côté. Le réglage du diaphragme se fait par l’avant. Des index servent de
repères.
La visée se fait par l’arrière un peu sur le même principe que
la Pathé Professionnel.
Mais il faut bien admettre que cette caméra n’est pas ergonomique et absolument inadaptée pour le reportage !
De haut en bas et de gauche à droite:
– cheminement de la pellicule : compartiment “couloir d’exposition”;
– les 2 magasins supérieurs en aluminium. Sur la droite, on distingue un emplacement pour positionner un troisième magasin de « réserve »;
– commande extérieure de l’iris de l’objectif (au moyen d’une queue à mouvement angulaire engagée dans une rainure du tube rotatif). On aperçoit les index qui servent de repères pour l’opérateur. Trois objectifs interchangeables étaient prévus ;
– molette extérieure du chariot mobile sur lequel est monté l’objectif et permettant ainsi la mise au point ;
– vue intérieure du compartiment “mécanisme” isolé du passage du film : en bas, les 2 supports sur lesquels vient s’enclencher la manivelle (vitesse normale et 1 tour/image);
– vue intérieure du compartiment avec l’obturateur ; devant le chariot mobile de l’objectif (absent ici pour la photographie). En dessous, on distingue la came triangulaire.
(photos : ©JFPB)
Principales caractéristiques:
- à partir
de1910 ;
- format
du film : 35 mm.;
- dimensions : 19 × 20,5 × 41 cm ;
-
poids : environ 8,5 kg avec les magasins;
- magasin de 120 m;
- 2 griffes ; deux débiteurs dentés ;
-
entraînement par manivelle (2 positions);
- 3 objectifs interchangeables ;
- 2
compteurs (métrage et images);
- visée à l’arrière par la fenêtre d’exposition ;
-
obturateur variable ;
Filmographie :
– The cameraman, Edward
Sedgwick, 1928. La caméra est ici un acteur, mais les scènes filmées par celle-ci dans le film (par Buster et/ou le singe) sont-elles celles qui sont projetées à l’intérieur même du film ?
Mais quels sont les films qui ont
été tournés par cet appareil ? Mystère.
The Cameraman (1928)(©
MGM photos ci-dessus et haut de
page : X).
Sur cette vue, on aperçoit la face arrière de la caméra avec à droite les compteurs et à gauche la fenêtre de visée (fermée par un petit volet). Sur la face de gauche, la molette de mise au
point.