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"Familiarise-toi avec la caméra, puisque c'est le moyen par lequel tu veux t'exprimer" Erich Pommer à Fritz Lang, 1918.

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Debrie Parvo L

 

Parler de la caméra Debrie Parvo L revient à parler des Parvo en général : en effet, il s’agit d’une véritable famille de caméras à la physionomie et à la technologie similaires. Tout a commencé avec la commande d’un explorateur anglais, Raleigh, qui a demandé à Joseph Debrie (spécialisé dans la perforation des feuilles métalliques puis dans des machines à perforer la pellicule) d’imaginer et concevoir une caméra légère et très maniable. Mais c’est le fils de Joseph Debrie, André (1891-1967), qui se chargea de la réalisation de l’appareil. En 1908, est ainsi créé le premier appareil Parvo (en fait Parvus en latin – petit – qui est devenu Parvo à cause d’une erreur d’imprimerie) inspiré de la forme quasi cubique des appareils photographiques 9 × 12.

 

 

Le brevet a été déposé par Joseph Debrie le 19 septembre 1908 et ses appareils Parvo allaient être parmi les plus prisés des opérateurs pendant une quarantaine d’années. Le principe général de l’appareil allait rester le même avec quelques changements mineurs dans le design, les matériaux et la technique : ainsi le métal (aluminium) remplace le bois pour le corps de la caméra en 1922 et en 1930, un modèle « T » est développé pour le cinéma sonore. Un autre modèle sera équipé d’un obturateur rotatif bicolore pour le Kinémacolor.

 

 

 

Le modèle bois 1913 (photos de cette page: ©JFPB).

 

Le premier Parvo de 1908 se situe d’emblée comme le concurrent de la Pathé « Professionnel » et se voulait un appareil souple, léger, facile à transporter et mécaniquement fiable. Il est certain qu’à cette date, le Parvo est l’appareil du marché le plus facile à porter grâce à ses dimensions « compactes » dues à la solution mécanique originale adoptée.

Le corps de la caméra « bois » est réalisé en contreplaqué de 5 feuilles mesurant 27 × 30 × 13 cm. Le poids est de 6 kg. Le mécanisme interne, indépendant du corps extérieur de la caméra, est réalisé en acier et bronze et est fabriqué artisanalement avec une très grande précision. On note l’absence de courroies d’entrainement et d’arbres mécaniques flexibles.

 

 

Le porte-objectif démonté du modèle 1913

 

La grande originalité et innovation de cet appareil réside dans la disposition des magasins coaxiaux de chaque côté du mécanisme et que l’on retrouvera jusque sur des modèles « modernes » (Aaton par exemple). Ceux-ci, métallique et d’une capacité de 120 m. au début, sont placés de chaque côté du mécanisme et « oblige » la pellicule à une sorte de vrille. Le film est positionné selon trois plans parallèles : bobine débitrice, couloir d’exposition, bobine réceptrice. Le film peut se déplacer en avant et en arrière. L’intérieur de la caméra est accessible par 3 côtés : un par magasin latéral et un troisième à l’avant qui permet d’accéder au couloir d’impression. L’obturateur est derrière l’objectif et les modèles qui suivront adopteront un ingénieux dispositif de fondus.

 

 

L’oeilleton, au dos de la caméra, permet une visée directe à travers le film. Un viseur iconométrique sur le côté complète la visée. Egalement au dos, se place un compteur. Pendant la prise de vues, l’opérateur peut, à l’aide de tiges coulissantes, manipuler le diaphragme et le point. La manivelle est sur le côté droit. Les objectifs sont interchangeables facilement par un système de baïonnette. Les appareils seront dotés par la suite de porte-filtres, pare-soleil et autres compendium. D’autres accessoires complèteront au fur et à mesure le développement des Parvo.

 

 

Façade arrière du Parvo L.

Un tel appareil, révolutionnaire à sa création, avec des caractéristiques aussi précises et nombreuses a attiré tout de suite l’attention des opérateurs et a été adopté très rapidement et très largement. Certaines caractéristiques, avec l’agrément de Debrie, ont été reprises par certains constructeurs étrangers. Le modèle L a été très répandu en Europe et a été particulièrement prisé des opérateurs et studios français. Il a été aussi beaucoup utilisé en Afrique et en Amérique du Sud ainsi qu’en Union soviétique. Ce modèle L est certainement celui qui s’est le plus vendu dans sa catégorie : probablement plus de 8000 appareils.

La maison Debrie est aussi le constructeur de la Truca en 29, la production cinématographique ayant franchi un pas en 1928 avec l’apparition des trucages en laboratoire. André Debrie a aussi conçu un dispositif avec 3 Parvo synchronisées pour le « Napoléon » d’Abel Gance.

 

Intérieur du Parvo L, côté magasin débiteur

 

Détail du mécanisme qui actionne les griffes et contre-griffes.

 

La « famille » Parvo :

bois :

Modèle 1908

Modèle 1913

Interview 1922 : types ‘a’, ‘b’, ‘c’, ‘d’, ‘e’ et ‘f’

 

aluminium :

L’

K’: modèle ‘L’ mais sans mise au point directe sur verre dépoli, ni commande fondus à main (recommandé pour les documentaires)

E’: modèle ‘K’ sans fondu (recommandé pour reporters, explorateurs, scientifiques)

G’, ‘H’, ‘JK’,

LS’: similaire au Parvo ‘L’, mais avec boite armée en ébonite pour assourdir le bruit du mécanisme ; peut être utilisé avec un système d’enregistrement sonore portatif directement sur le négatif, types "Tobis", "Tanar" ou encore "SIS"

Super-Parvo’

 

 

Image extraite de la brochure Debrie

 

Le Parvo L:

Avec un corps en fonte d’aluminium, de dimensions de 27 (L) x 15 (l) x 20 (h) (quasi identique au modèle 1913, cf. ci-dessus) et d’un poids de 10 kg, le Parvo L comporte des magasins de 120 m. Il se commande à la main ou par l’électricité. Il dispose d’une loupe "Optis-Debrie" pour contrôler l’image directement dans la fenêtre d’exposition et la mise au point et/ou le cadrage (qui se fait à volonté sur le film ou sur le dépoli): ainsi l’opérateur peut suivre directement sur pellicule pendant la marche sans cesser de tourner. Outre un indicateur de vitesse magnétique, le Parvo L est doté d’un compteur à chiffres (avec : nombre de tours de manivelle et images/tour et métrage impressionné); ce compteur additionne et décompte selon le sens de la marche.

L’appareil est doté d’une monture standard pour les objectifs.

La fixité est assurée par 2 contre-griffes et le presseur (à ressorts) de la fenêtre se recule automatiquement à chaque escamotage de la pellicule (ce qui évite toute friction sur la pellicule).

Les fondus se font à l’obturateur : automatique en 9 tours de manivelle (avec blocage à la fin de l’opération) où à la main sur n’importe quelle longueur.

 

 

Images extraites de la brochure Debrie: le chargement.

 

Principales caractéristiques du Parvo L:

– visée : a/ à travers la pellicule ; b/ sur dépoli à l’arrêt ; c/ par objectif à visée réflexe ; d/ viseur clair latéral pliable de type Newton

– optiques : objectifs fixes à partir de 14,5, zooms à monture à rampe et boule

– mise au point : sur dépoli à l’arrêt ; sur pellicule pendant la marche ; par décamètre et barrette pour objectifs ; réflex incorporé au zoom

– moteurs : à la main par manivelle ; moteurs électriques synchrones et asynchrones, 127 ou 220 V.; 24 V. à rhéostat

– magasins : 120 m. coaxiaux à l'intérieur de l’appareil

– obturateur : rotatif de 0 à 133° réglable en marche et à l’arrêt

– griffes/contre-griffes : bilatérales et presseur de fenêtre intermittent

– marche arrière : à la main ou au moteur

– fondus : simples et enchaînés automatiques en 72 images ; toutes durées à la main

– divers : encocheuse; caches flous et nets sur fenêtres de prise de vues ; tachymètre magnétique ; compteur mètres et images ; compte-tours ; soufflet extensible porte-cache, diffuseur et filtres

caches, contre-caches visibles pendant toutes les opérations

– réglette de mise au point

 

– quelques accessoires :

trépied à friction (branches normales et branches courtes)

monture articulée d’écran

pare-soleil à soufflet

iris

port-cache pivotant

porte trames et écrans

jeu de caches flous et caches nets ; caches « artistiques »

embobineur pliant (pour enrouler la pellicule vierge sur les moyeux des magasins)

Visographe Debrie (sorte de chercheur de champ)

viseur optique

Plastron support d’appareil

trousse d’outils

il existe aussi un support universel qui se fixe sur la tête du trépied et qui peut recevoir des accessoires

 

 

Un Steadycam avant l'heure? Mais il fallait avoir le cou solide! (extrait de la brochure)

 

Filmographie (liste non exhaustive) :

 

Le Parvo L est la "vedette" de L'Homme à la caméra de Dziga Vertov (1929), véritable somme apologétique de la technique (mais pas que...).

 

Beaucoup de films ont été tourné avec des Parvo, les cinéastes de « l’avant-garde » l’ont particulièrement apprécié.

— Nana, Jean Renoir, 1926 ;

— Vertige, 1926, Marcel L’Herbier (+ aussi Cameréclair) ;

— Carmen, 1926, Jacques Feyder (+ d’autres types d’appareils) ;

— Napoléon, Abel Gance, 1927 ;

— Casanova, 1927, Alexandre Volkoff (+ d’autres appareils : Sept de Debrie ?) ;

— Miss Helyett, 1927, Georges Monca et Maurice Keroul ;

— L’Argent, 1928, Marcel L’Herbier ;

— L’Oublié, 1928, Germaine Dulac (?);

— La Passion de Jeanne d’Arc, 1928, Carl Theodor Dreyer ;

— La Ronde infernale, 1928, Luitz Morat (+ une Cinex ?) ;

— Pardonnée, 1929, Jean Cassagne ;

— La Femme rêvée, 1929, Jean Durand

— La Vocation, 1929, Jean Bertin ;

— Sous les toits de Paris, René Clair, 1930 ;

— Le Capitaine jaune, 1930, Anders Wilhelm Sandberg ;

— Nuits de Princes, 1930, Marcel L’Herbier ;

— À propos de Nice, Jean Vigo, 1930 ;

— Jour de fête, Jacques Tati, 1947.

 

 

Marcel L'Herbier dirigeant Alice Tissot dans Nuits de Princes (1930). A la Parvo, l'opérateur Léonce-Henri Burel (© coll. particulière).

Tournage de L'Argent (1928) de Marcel L'herbier. Remarquer le chariot sur lequel est posé la caméra (photo X).

 

Observation:

Dans le film L’Ombre du vampire (Shadow of the vampire, 2001) de E. Elias Merhige qui est une digression autour du tournage du Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des grauens, 1922) de Murnau, on voit plusieurs fois une des deux caméras utilisées. Si, effectivement, Murnau a bien utilisé une Parvo, et qui ne peut être une “L (le film a été tourné avant la sortie des premières “L), par contre, dans le film de Merige, il pourrait s’agir des copies réalisées par la firme allemande Ernemann, la Kino E. (ci-dessous, photogramme extrait du film).

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