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"Familiarise-toi avec la caméra, puisque c'est le moyen par lequel tu veux t'exprimer" Erich Pommer à Fritz Lang, 1918.

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Cameréclair 6

Au début des années 1920, un ingénieur de la Société Eclair, Jean Méry, développa une nouvelle caméra baptisée Cameréclair. L’enjeu consistait à faire un appareil capable d’accepter plusieurs dispositifs et accessoires qui puissent fonctionner lorsque la caméra tournait. Eclair s’est ainsi retrouvé en compétition nationale avec Debrie. Toutefois, les appareils signés Eclair, plus chers, ne rencontrèrent pas la même diffusion que ceux de Debrie. À cette époque, posséder un Cameréclair c’était comme posséder une voiture de sport de luxe !

 

 

 

D’abord livré avec 4 objectifs, l’appareil a rapidement évolué avec 6 objectifs et quelques améliorations supplémentaires, d’où l’appellation Cameréclair 6 et encore plus simplement Camé 6. C’est ce second modèle qui a été le plus répandu (en fait 3e modèle, car 2 modèles à 4 objectifs se sont succédés rapidement avec de menus différences).

 

Le premier modèle est sorti des ateliers en 1922 et était construit dans un corps entièrement métallique clair (aluminium), poli et verni au four. Si le choix s’est porté sur du métal et non du cuir, c’est pour la raison que les métaux polis réfléchissent les rayons solaires : ainsi la température intérieure ne monte pas et la pellicule reste souple. Esthétiquement très réussie, aux proportions idéales, quasi un bijou, la caméra est aussi assez silencieuse (mais ne pouvait prétendre à une prise de son simultané !), le mécanisme faisant appel à de nombreux roulements à billes.

 

Côté droit du Camé 6 avec ses 2 manivelles; au-dessus, vue générale avec le pare-soleil extensible (photos : ©JFPB).

L'intérieur avec le magasin débiteur (photo: ©JFPB).

 

Deux magasins de 120 mètres de capacité sont installés côte à côte (comme dans le Parvo) mais accessible par une seule porte, à gauche (contrairement au Debrie Parvo ), une tourelle avec 4 objectifs, et plusieurs instruments de contrôle (cinq : compteur d’images, de mètres, de tours, d’obturateur et de fondus) sur la partie droite et à l’arrière caractérisent ce nouvel appareil.

La mise au point s’effectue grâce à une loupe placée extérieurement qui agrandit l’image reçu sur le dépoli (image déviée par un prisme : celui-ci en position de mise au point, bloque l’obturateur). En 1925, une nouvelle loupe permet la mise au point sur la pellicule.

Un viseur de type “Galilée” sur le dessus complète le système de visée.

À noter une particularité assez rare : l’objectif peut se décentrer (possibilité que l’on retrouve sur le Chrono Négatif Gaumont de 1913).

La fixité est assurée par un système de griffes pleines. Celles-ci piquent la pellicule une image au-dessus de la fenêtre d’impression, puis l’abandonnent face à celle-ci. Elles entrent et sortent des perforations pendant l’obturation. Pour compenser les différences entre les bords extérieurs des perforations variables selon les fabricants de pellicule, les griffes peuvent être rapprochées l’une de l’autre au moyen d’un écrou à cône. La tension d’enroulement du film est réglable : si le film est trop “freiné”, l’opérateur se fatigue… au contraire, si la tension est trop lâche, la pellicule bourre et ne rentre pas dans sa boite réceptrice.

 

Ci-dessus, respectivement: cadran des fondus, cadran de l'obturateur, compteurs de métrage et d'images (photos : ©JFPB).

 

L’appareil à 4 objectifs était livré avec des Tessar de 35, 50, 90 et 150 mm. À la demande, l’appareil pouvait être monté avec d’autres marques.
 

En 1926, apparaissent donc les premières améliorations (le corps et les cotes de l’appareil ne sont pas modifiés) : une tourelle à 6 objectifs, une visée latérale. Un support pour pare-soleil et un porte-filtres complètent les nouveautés (qui existaient déjà sur le modèle 1925, mais moins aboutis).

 

À l’arrière et sur le côté, de nombreux contrôles permettent de suivre et vérifier l’ouverture de l’obturateur, le métrage exposé, le nombre d’images impressionné, les fondus automatiques ; on ajoute aussi des manivelles pour marches manuelles avant/arrière ; fondus automatiques, contrôle de la vitesse. Le mécanisme très élaboré de la caméra lui permet de réaliser de nombreux effets et trucages avec précision pendant la prise de vues.

 

Appareil compact, élégant et léger, d’un fini parfait, usiné avec une très grande précision, le Cameréclair 6 possède 4 manières de contrôler le cadrage : le viseur de type Galilée sur le dessus ; la visée à travers le film (image redressée); la visée par un viseur latéral ; enfin en utilisant un dépoli quand la caméra est à l’arrêt.

 

Il est possible de réaliser des fondus automatiques en 4, 8 ou 12 tours de manivelle, c’est-à-dire en 32, 64 ou 96 images (1 tour de manivelle = 8 images). Le fondu enchaîné se réalise ainsi en remontant la pellicule sur une longueur égale entre le fondu “fermé” et le fondu “ouvert”. Toutefois les fondus étaient généralement réalisés en laboratoire, ce qui présentait l’avantage de garder intact le négatif original, mais le contretypage ne fournissait pas un négatif rigoureusement semblable à l’original : un oeil attentif et “expert” fait la différence entre un fondu “labo” et un fondu “caméra” (surtout en couleur). D’où parfois l’intérêt de réaliser les fondus à la caméra.

 

Le cheminement de la pellicule (pour la photo, les magasins ont été retirés). Remarquer la mauvaise position de la pellicule sur le débiteur de droite ! (photo : ©JFPB).

 

Le Camé 6, grâce à sa précision mécanique, permettait la réalisation de nombreux trucages : surimpressions, marche arrière, image/image, car la caméra peut s’arrêter et démarrer à l’image près grâce aux compteurs d’images et métriques extrêmement précis et fiables. De plus, ces compteurs “comptent” ou “décomptent”.

 

Cette caméra a été largement adoptée par les studios français, mais aussi européens (quelques unités ont été vendues aux Etats-Unis) dès le mitan des années 1920 et a été utilisée jusque dans les années 1960 (laboratoire, banc-titre, dessins et maquettes animées, films scientifiques). Véritable “bijou” dans sa livrée métallique claire et compte tenu de son prix, un rêve pour beaucoup de cinéastes qui ne pouvaient se l’offrir. Son utilisation était répandue dans les studios du groupe Eclair bien sur, aux studios Paris-Studio-Cinéma (Billancourt), Pathé, Studios de la Côte d’Argent à Bordeaux (Emile Couzinet), etc.

 

Ci-dessus successivement: cadran de réglage des distances en fonction des focales utilisées, ouverture obturateur, viseur sur le dessus, bouton de décentrement des objectifs (photos : ©JFPB).

 

Caractéristiques techniques (version Camé 6):

 

– visée, 4 possibilités :

1/ à travers la pellicule par l’objectif ;

2/ par viseur clair de type Galilée au-dessus ;

3/ par une visée latérale à l’aide d’un 2e objectif secondaire identique à celui de la prise de vues ;

4/ sur dépoli à l’arrêt (réflex): il n’y a donc pas de visée réflexe “en marche” obtenue par un obturateur-prisme à 45° par exemple ;

 

– objectifs : tourelle de 6 optiques en monture à tube simple ; possibilité de mettre un zoom avec son viseur réflex ;

 

– mise au point : sur un dépoli à l’arrêt, sur la pellicule pendant la marche, par mesure en report des graduations sur le cadran arrière ;

 

– moteurs : tri-synchro, 220 V ou 32 V ; + 2 manivelles pour tournage à main et image/image ;

 

– magasins : 120 m coaxiaux ; chargement avec boucles décentrées, gélatine à l’intérieur pour le magasin débiteur ;

 

– vitesses : 12 à 34 images/seconde par le moteur ;

 

– obturateur : rotatif de 0 à 170°, réglable en marche et à l’arrêt ;

 

– griffes : griffes et contre-griffes bilatérales avec presseur intermittent ;

 

– un perforateur pour repérer des moments précis sur la pellicule ;

 

– marche arrière : possible à la main et au moteur ;

 

– fondus : simples et enchaînés, automatiquement où à la main ;

 

– quelques accessoires : pare-soleil extensible avec porte-cache, porte-diffuseur et filtres ; pied.

 

Marcel L'Herbier au côté d'une Camé 4 pour son film Feu Mathias Pascal (1924) (photo X - collection particulière - DR).

Filmographie (liste non exhaustive) :

 

Très nombreux films français à partir des années 1920. Parmi les premières productions :

— Feu Mathias Pascal, 1924, Marcel L’Herbier, Cameréclair 4 objectifs ;

— Mon oncle Benjamin, 1924, René Leprince, Cameréclair 4 objectifs (?)

— Le Fantôme du Moulin-Rouge, 1925, René Clair, Cameréclair 4 objectifs ;

— La Maison du Maltais, 1925, Henri Fescourt, Cameréclair 4 objectifs (?) en 2de caméra avec une Bell Howell 2709

— Nana, 1926, Jean Renoir, Cameréclair 4 objectifs (+ Debrie Parvo) ;

— Le Chasseur de chez Maxim, 1926, Nicolas Rimsky et Roger Lion, Cameréclair 4 objectifs ;

— Vertige, 1926, Marcel L’Herbier, Camé 6 (+ aussi Debrie Parvo L ?)

— Romanetti, le roi du maquis, 1925, Gennaro Dini, Cameréclair 4 objectifs (+ autre appareil non identifié)

— L’Invitation au voyage, 1927, Germaine Dulac, Camé 6

— Napoléon, 1927, Abel Gance, Camé 6 (?) (+ aussi Bell & Howell)

— Le Collier de la reine, 1929, Gaston Ravel et Tony Lekain, Camé 6

— Les nouveaux messieurs, 1929, Jacques Feyder, Camé 6

— Quand les épis se courbent, 1929, Jean Dréville, Cameréclair 4 objectifs ;

— Danseur inconnu, 1929, René Barbéris, Camé 6 ?;

— Quand nous étions deux, 1929, Léonce Perret, Camé 6 ;

— L’Appel du large, 1930, Jean Bertin, Camé 6 ;

— Le Million, 1931, René Clair, Camé 6 ;

— Le Sang d’un poète, 1935, Jean Cocteau, Camé 6

 

Albert Préjean devant les objectifs de la Cameréclair 6 dans le fim de Maurice Cam, Métropolitain (1938). Noter la présence du moteur électrique (photo France-Presse - collection particulière - DR).

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