Cinécaméras...histoires de caméras...

"Familiarise-toi avec la caméra, puisque c'est le moyen par lequel tu veux t'exprimer" Erich Pommer à Fritz Lang, 1918.

cinécaméras
cinécaméras

Ci-dessus, Le Jeu du Thaumatrope « La lanterne magique » ca 1826 (photo : ©JFPB)

 

Avant 1895

La majorité des historiens du cinéma s’accorde pour définir l’année 1895 comme celle de l’invention du cinéma.
Mais soyons précis
 : le cinéma en tant que tel (et comme il est pensé aujourd’hui) n’a pas été l’objet d’un quelconque dépôt de brevet. Personne n’a “inventé” le cinéma !

Les Frères Lumière ont déposé un brevet concernant un appareil servant à l’obtention et à la vision des épreuves chrono-photographiques. Il n’est pas question de caméra, de tournage, de projection L’invention du procédé technique n’a pas entraîné automatiquement et immédiatement le phénomène culturel et artistique (et aussi économique et social) du cinéma.
Nous
n’entrerons pas plus dans cet immense débat (passionnant au demeurant), car il ne concerne pas directement notre propos sur les caméras.

 

Le premier brevet Lumière est donc déposé le 13 février 1895. Le 22 mars (ce pourrait être le 19) l’appareil est présenté à la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale, 44 rue de Rennes à Paris : il s’agit de la première projection publique. D’autres suivirent (Sorbonne, Lyon, Bruxelles) et c’est le 28 décembre qu’a eu lieu la première séance payante dans le Salon indien du Grand Café.
L’appareil qui sert à la prise de vues sert aussi à la projection. On ne parle pas de caméra. Le terme est venu lorsque les fonctions de prise de vues et de projections se sont véritablement séparées.

 

Avant cela, surtout au XIXe siècle, nombreux furent ceux qui ont cherché à, d’une part enregistrer le mouvement et d’autre part à le restituer. L’aboutissement qu’est “l’invention du cinéma” peut se résumer à ces deux grandes recherches, et qui n’ont pas toujours été liées. Ces différents dispositifs techniques (appelons les ainsi) sont généralement regroupés sous l’appellation “pré-cinéma”. Terme générique commode mais que nous n’utiliserons pas ici car tous ces ingénieurs, techniciens, inventeurs et autres bricoleurs de génie ne cherchaient pas à “inventer” le cinéma mais à “capter” la vie, et/ou à la restituer… Souvent les axes de recherches déployés étaient divergents ainsi que les buts et intérêts poursuivis. Les appareils cinématographiques doivent beaucoup à la recherche scientifique des physiologistes et autres astronomes…

 

Dans la brève chronologie qui suit (deux sources principales : Vincent Pinel et Cinéma d’aujourd'hui; cf. sources et documentations), nous tenterons de cerner les dispositifs et/ou inventions qui concernent directement la prise de vues, c’est-à-dire ce qui nous rapproche des caméras (surligné en rouge).

 

Phénakistiscope de Plateau (doc © E. Trutat, La Photographie animée).

Le Jeu du Thaumatrope “La lanterne magique ”.
Ci-contre son animation : lorsque l’on fait tourner le disque (grâce à deux bouts de ficelle passés dans les trous à droite et à gauche), la figurine noire semble se positionner au centre de la toile… (l'animation est ici volontairement ralentie) (photo : ©JFPB).

1816 : J.-N. Niépce enregistre une image sur une surface sensible sans toutefois la fixer.
1826 : jouet optique, le
Thaumatrope (invention du Docteur Fitton). Chaque face d’un disque dispose d’un dessin : en faisant tourner rapidement ce disque, les deux images se superposent.
1829-1833 : le belge J. Plateau met en évidence le phénomène de la persistance de la vision et concrétisé grâce à un appareil inventé par ses soins : le
Phénakistiscope. En observant dans un miroir des figures peintes sur un carton circulaire et à travers des fenêtres de ce même carton, on a l’illusion d’un mouvement. Le mouvement est bref et cyclique : moins d’une seconde ! C’est déjà un plan de cinéma.
1834 : le
Zootrope (ou Daedalum) reprend le principe du Phénakistiscope. Les dessins sont peints sur une bande placée au sein d’un tambour. Durée aussi brève… C’est un plan de cinéma avec une succession d’images sur une bande.

 

Zootrope (doc © E. Trutat, La Photographie animée).

1837 : Daguerre met au point l'impression sur plaque métallique.
1850 : négatif dit “au collodion humide” par F. S. Archer.
1853 : le
Kinesticope: appareil mis au point par l’autrichien von Uchatius permettant de projeter des images du type Phénakistiscope.
1870 : le
Phasmatrope (H. Reyl): amélioration du Kinesticope.
1871 : apparition du celluloïd aux Etats-Unis.
1873 : le physiologiste Etienne-Jules Marey dans son ouvrage
La machine animale met en évidence la forme du galop du cheval. La photographie devra prouver cette nouvelle affirmation !
1874 : le
Revolver photographique de l'astronome Janssen enregistre grâce à un objectif unique 48 vues successives de la planète Vénus sur une plaque photo.

 

Revolver Photographique de Janssen, La Nature (8 mai 1875)

Le Praxinoscope de Raynaud: au centre, le cylindre et ses miroirs (cachés ici sur cette vue verticale); autour, la bande avec les vues fixes (photo: ©JFPB).

Les séries de sujets disponibles pour le Praxinoscope.

1877 : le Praxinoscope de Reynaud. L’appareil reprend le principe de la bande dessinée du Zootrope, mais la vision se fait au centre d’un tambour recouvert de miroirs (même nombre que les dessins). Reynaud déclina son appareil sous les formes de Praxinoscope-théâtre, Praxinoscope à projection et Théâtre optique (1888 : utilisation ici d’une grande bande perforée).
Ce système de miroirs se retrouvera dans quelques caméras à grande vitesse.
1878 : le photographe E. Muybridge “vérifie” le travail de Marey par un système photographique. Le dispositif est complexe :
12 puis 24 appareils avec un opérateur sont disposés le long d’une piste. Le cheval à son passage, déclenche, au moyen de fils, les appareils. Un mouvement est donc décomposé en une suite de vues.
1880 : arrivée du gélatino-bromure en photographie.
1881 : Muybridge rencontre Marey.
1882 : Marey reprend et perfectionne le
Revolver de Janssen. 12 images pouvaient être enregistrées sur un disque (type Phénakistiscope) tournant par à-coup. La plaque sèche photographique a facilité l’usage de ce
Fusil photographique. Contrairement au dispositif de Muybridge, l’appareil n’a qu’un objectif, ce qui est fondamental pour résoudre le problème de la superposition parfaite des images (dans le cas des objectifs multiples, les points de vue sont multiples et donc non confondables… sauf à envisager cela comme un mouvement de caméra, i. e. travelling). A. Londe, dans le même esprit, fabrique un appareil à 9 objectifs, mais à chambre unique.

 

Fusil de Marey (doc © E. Roux-Parassac, Et l'image s'anima)

1885 : arrivée du support souple en photographie (Georges Eastman).
1887 : H. Goodwin met au point le nitrate de cellulose, matière souple et transparente.
1888 (janvier):
nouvel appareil à objectifs multiples, mais avec 16 objectifs sur 2 bandes sensibles (L.-A.-A. Le Prince).
1888 (février) : Muybridge rencontre Edison. Ce dernier décide alors de se lancer dans la fabrication d’un appareil optique équivalent à son
Phonographe.
1888 (octobre): Marey présente son
Chronophotographe sur bande mobile. Marey reprend son appareil précédent en remplaçant la plaque mobile par un papier sensible : une image est enregistrée une vingtaine de fois par seconde sur une bande. La bande n’étant pas perforée, les images ne sont pas inscrites de manière régulière.

 

Le Chronophotographe sur pellicule mobile de Marey (modèle de 1891): la caméra est là! Chambre noire, bobines réceptrice et débitrice, avance intermittente, pellicule. Il ne manque que les perforations pour positionner correctement les images...
(doc © E. Trutat, La Photographie animée)

1889 : déploiement du support souple en nitrate de cellulose (Eastman)
1889 (octobre): Marey présente son
Chronophotographe sur bande mobile à Edison de passage à Paris lors de l'Exposition Universelle. Marey a “animé” ses bandes dans un Zootrope. Edison change l’orientation de ses recherches et crée le film sous l’innovation du support d’Eastman.
1890 (octobre):
Chronophotographe sur pellicule mobile de Marey. Le papier est remplacé par le nouveau support d’Eastman, mais sans perforation : tout est presque là !
1891 (mai): le
Kinetoscope d’Edison. En ayant conçu la perforation de la pellicule, Edison franchi un pas important. Il construit 2 appareils : le Kinetograph qui enregistre des images et qui reprend le principe de l’appareil de Marey (avance intermittente). Un appareil de reproduction, le Kinetoscope, destiné à un seul spectateur (“visionneur”) à la fois. Un film sans fin offrait ainsi une scène en boucle d’une vingtaine de secondes. C’est déjà mieux que les précédents appareils !

 

Plan de la Caméra Edison brevetée en août 1897 (doc © Cinéma d'aujourd'hui).

1892 (février): brevet d’un appareil proche du Chronophotographe de Marey : le Cynématographe de Léon Bouly (avec un y, ensuite avec un i en décembre 1893). Le nom cinéma vient de là ! Les Lumière n'ont probablement pas eu connaissance des travaux de Bouly: il aurait été maladroit de leur part de reprendre ce nom.
1892 (mars): l’assistant-préparateur de Marey, Georges Demenÿ dépose un brevet pour un
Phonoscope, appareil destiné dans un premier temps aux sourds-muets pour lire sur les lèvres. Vingt-quatre photographies étaient disposées sur un disque (inspirées du Phénakistiscope).

 

Destiné aux sourds-muets afin qu'ils s'entraînent à déchiffrer les mots en fonction du mouvement des lèvres, Georges Demenÿ avait enregistré en gros plan un homme prononçant des phrases courtes. Il s'était lui-même photographié disant "Je vous aime" ou "Vive la France". La reproduction se faisait via un appareil muni d'un disque sur lequel étaient placées les vingt-quatre vues, minutieusement collées. Un disque obturateur venait dévoiler les photos selon le principe du Phénakistiscope. Cela resta sans suite: boucle limitée d'images, disposition délicate des photos, et nécessité d'utiliser l'appareil de Marey pour enregistrer ! Or les négociations avec ce dernier avaient échoué.
Au fait, que dit Demenÿ sur cette animation ?

 

1892 (octobre): le Théâtre optique de Reynaud présente ses Pantomimes lumineuses au Musée Grévin.
1892
(décembre): Edison construit un studio destiné aux enregistrements de photographies animées.
1893 (octobre): séparé de Marey, Demenÿ cherche à mettre au point son propre appareil de prise de vues avec une bobine réceptrice excentrique ovale.
1894
 : nombreux enregistrements d’Edison dans son studio pour alimenter ses nouvelles machines à sous de Kinetoscopes
1894 (juillet): Demenÿ trouve une solution pour le déplacement de la pellicule en plaçant un excentrique (came battante) avant l’enroulement de celle-ci sur la bobine réceptrice. Toutefois, le dispositif butait toujours sur l’absence de perforations pour séparer de manière régulière les images. Ce n’était pas le souci premier de Demenÿ car, pour lui, la prise de vues devait servir à alimenter son Phonoscope.
1894 (fin
d’année): premières contrefaçons du Kinetoscope à Londres (R. W. Paul).
1894 (fin
d’année): le Kinetoscope échauffe et provoque les esprits ! Les Lumière (Antoine le père, Auguste et Louis les deux fils) entreprennent des travaux de recherches pour produire et diffuser des photographies animées. Les Lumière sont à la tête d’une société spécialisée dans la fabrication de produits destinés à la photographie.
1895, 13 février
 : dépôt d’un brevet par les Lumière d’un Appareil servant à l'obtention et à la vision des épreuves chronophotographiques. L’appareil reprend le film d’Edison et le défilement intermittent de Marey pour la prise de vues. L’originalité de l’appareil Lumière résidait dans l’excentrique inspiré du pied de biche de la machine à coudre et la possibilité de projeter les images sur un grand écran. L’appareil était mixte : prise de vues, tirage et projection. Des brevets additionnels viendront apporter les perfectionnements nécessaires (30 mars, 6 mai et 28 mars 1896).

 

Fac-simile du Brevet d'invention des Frères Lumières en date du 13 février 1895
(© in Les Lumière, Guy et Marjorie Bergé, Editions Lyonnaises d'Art et d'Histoire)

Version imprimable | Plan du site
© cinécaméras/jfpb